Marsha P. Johnson

Marsha P. Jonhson

Introduction

Militante pour les droits des membres de la communauté LGBT+, artiste drag queen, activiste pour la lutte contre le SIDA au côté de l’ACT-UP, fondatrice de l’organisation STAR, vétérante des émeutes de Stonewall… Nombreux sont les titres associées à Marsha P. Jonhson, femme transgenre américaine, travailleuse du sexe ayant luttée pour la reconnaissance des droits des membres de la communauté LGBTQIA+ puis des personnes séropositives dès les années 80 jusqu’à sa mort mystérieuse le 6 juillet 1992.

Elle est fortement associée aux émeutes de Stonewall en 1969 où elle aurait brisé le pare-brise d’une voiture de police à coups de pierre même si contrairement à la légende, elle ne les a pas initiées.

Jeunesse

Marsha P. Johnson est née le 24 août 1945 à Elizabethtown dans l’État du New Jersey sous le nom de Malcolm Michaels Jr. Son père, Malcolm Michael Sr, travaillait dans une usine de la firme General Motors sur les chaînes de montages tandis que sa mère, Alberta Claiborne, était gouvernante au côté de six frères et sœurs.

En 1963, Marsha est diplômée de l’Edison High School, aujourd’hui la Thomas A. Edison Career and Technical Academy, alors qu’elle est âgée de 17 ans. C’est aussi durant cette année que Marsha quitte le domicile familial pour l’État de New-york.

L’arrivée à New York

Arrivée à New-York, Marsha commence alors sa nouvelle vie. Comme beaucoup de femmes transgenres de son époque (à cette époque, la communauté LGBTQIA+ était marginalisée et discriminée par la police et la classe politique à cause de la “peur lavande”, une version dérivée de la peur rouge visant les personnes homosexuelles, transgenres… lancée par le sénateur Joseph McCarthy et ses partisans), elle dût recourir à la prostitution ainsi qu’a effectuer divers petits boulots comme serveuse afin de pouvoir survivre.

En 1966, Marsha s’installe à Greenwich Village, lieu qui deviendra, en quelque sorte, le point de naissance du militantisme pour la reconnaissance des droits des personnes membres de la communauté LGBTQIA+. C’est aussi à Greenwich Village que la vie de Marsha va franchir un cap ainsi que le début de son histoire et de sa légende.

Entre 1966 et 1969, Marsha continue ses activités en tant que travailleuse du sexe afin de survivre. Au fil du temps tout en travaillant aux côtés d’autres prostituées, d’artistes de rues… près du restaurant Howard Johnson situé à l’angle de la 6ème avenue et de la rue numéros 8, Marsha fit son coming-out en tant que femme transgenre (à savoir que durant les années 60-70, la transidentité était encore mal définie).

C’est durant ses débuts en tant que drag queen et après son coming-out que Malcolm Michaels Jr changea de prénom pour devenir Marsha P. Johnson. Johnson venant de la devanture du restaurant Howard Johnson quant au P, il signifie “Pay it no mind” (N’y faites pas attention en anglais). Elle avait l’habitude de sortir cette citation de manière sarcastique quand des personnes posaient des questions à propos de son genre.

C’est aussi à cette période que Marsha fit la rencontre de celle qui deviendra sa meilleure amie et sa plus fidèle complice lors des futures manifestations, Sylvia Rivera.

Les émeutes de Stonewall

Le 28 juin 1969, aux petites heures du matin, 8 policiers en civil font une descente dans un bar situé au 53eme Christopher street, le Stonewall inn. Le bar était la propriété de la mafia new-yorkaise et était connu pour accueillir une clientèle composée en grande partie de marginaux comme les sans-abris, les prostituées, les travesti(e)s, les drag queens, les membres de la communauté LGBTQIA+… Normalement, le patron du Stonewall inn était prévenu des allées et venues de la police via des taupes ou des informateurs, permettant de protéger la clientèle en plus de pouvoir rouvrir le bar rapidement après les contrôles.

Cependant, ce ne fut pas le cas le 28 juin 1969. Aux petites heures du matin, un groupe de 8 policiers en civil effectue une descente surprise au Stonewall. Si la plupart des clients ont pu partir sans soucis, ceux qui sont arrêtés subissent des violences de la part des forces de l’ordre.

Le traitement des personnes arrêtées provoque l’indignation de la communauté LGBT+ de Greenwich village et très vite la foule se rassemble et s’en prend aux policiers qui, en sous-effectifs, se réfugient à l’intérieur du bar. Durant toute la nuit, la police new-yorkaise et les émeutiers se livrèrent à un affrontement féroce. Ne pouvant gérer à elles seules cette émeute qui prend de plus en plus d’ampleur, les forces de l’ordre envoient la Tactical Patrol Force, une unité spéciale, spécialisée dans le bridage et le matage des émeutes et des manifestations (notamment celles organisées par les campus et les étudiants contre la guerre du Vietnam et les droits civiques), tristement célèbre pour ses tactiques répressives et brutales. Malgré tout, les émeutes continuèrent et les manifestants firent face à la police à coups de jets de pierres et de bouteilles. La révolte durera une semaine dont les deux premières nuits furent les plus violentes.

Pour ce qui est de Marsha P. Johnson, elle arriva sur les lieux vers 2 heures du matin alors que les émeutes avaient déjà commencé. Lors du soulèvement, Marsha aurait lancé une brique sur une voiture de police, brisant le pare-brise. C’est à partir de ce moment que la légende de Marsha P. Johnson débute. De nombreux vétérans des émeutes de Stonewall témoignèrent que Marsha, aux côtés d’autres femmes, avait formé une avant-garde contre la répression policière et, ainsi, avait déclenché le soulèvement. Cependant, cette histoire fut démentie par Marsha lors d’une interview en 1987 durant laquelle elle déclara que, bien qu’elle ait activement participé au soulèvement, ce n’était pas elle qui l’avait déclenché.

L’après émeute et le début du militantisme

A la suite des émeutes de Stonewall, Marsha et son amie Rivera rejoignirent le Gay Liberation Front (GLF) alors récemment fondé par Craig Rodwell et Brenda Howard dans le but de faire reconnaitre les droits des personnes homosexuelles.

Le 28 juin 1970 soit un an jour pour jour après les émeutes de Stonewall, Rodwell obtient le droit de manifester pour les membres de la communauté LGBT+ après une âpre bataille juridique. L’événement, alors nommé le Christopher Street liberation day, fut le précurseur de ce qui deviendra la Gay Pride ainsi que des Marches des Fiertés LGBTQIA+ qui sont toujours organisées le dernier weekend de juin en hommage au soulèvement de Stonewall.

Durant le mois d’août de la même année, Marsha participe à une manifestation de protestation devant l’université de New York aux côtés des membres du GLF après l’annulation d’une danse par l’administration de la ville sous prétexte qu’elle était parrainée par des organisateurs appartenant à la communauté LGBT+. Marsha restera chez le GLF jusqu’à sa dissolution en 1972 à la suite de luttes internes.

C’est aussi durant les années 70 que Marsha et Rivera fondèrent le Street Transvestite Action Revolutionaries (STAR), une organisation dont le but était d’offrir une protection grâce aux Star house tout en manifestant pour l’obtention des droits et des libertés pour les membres de la communauté LGBTQIA+. L’organisation participa à de nombreuse action radicale ainsi qu’aux marches de la fierté et ce même contre l’avis du comité gay et lesbien comme en 1973 où Marsha et Rivera reçurent une interdiction de participer au défilé de la fierté gay soi-disant pour ne pas donner une mauvaise réputation. En guise de réponse, Marsha et Rivera ont marché en tête du défilé.

En plus de fonder le mouvement STAR, Marsha et Rivera ont fondé la STAR house, un refuge pour les jeunes homosexuelles et trans sans-abris grâce à l’argent qu’elles avaient gagné avec la prostitution. Chez les communautés LGBT+ noires et latinos, les houses sont des sortes de refuges pour des jeunes ostracisés. Ses refuges sont dirigés par des “mères” et des “pères” appartenant souvent au milieu artistique. Dans le cadre de la STAR house, cette dernière n’était pas centrée sur la performance même si Marsha était considérée comme une drag mother.

La crise du SIDA dans les années 80

En 1981, de nombreux homosexuels tombent malades. Si les médecins diagnostiquent au départ comme un sarcome de Kaposi, la maladie est en fait due à un virus qui s’attaque au système immunitaire des personnes touchées, le virus de l’immunodéficience humaine, le VIH.

Dès l’année 81, les communautés homosexuelles, malgré le choc provoqué par la maladie et la stigmatisation provoquée par la droite conservatrice et certaines communauté religieuses, s’organisent pour pouvoir lutter contre le virus qui n’est mentionné nulle part dans la presse et les médias en grande partie à cause du président de l’époque, Ronald Reagan (le SIDA ne sera mentionné qu’à partir de 1987).

Très vite, des mouvements de solidarité sont organisés ainsi que des manifestations pour pouvoir débloquer des fonds pour la recherche contre le VIH notamment en 1985 avec PWAC – Coalition pour les gens avec le sida pour pouvoir venir en aide aux personnes séropositives. Mais c’est surtout en 1987 que les choses s’accélèrent avec la fondation du mouvement militant Act-UP dont la mission fut la reconnaissance du VIH dans les médias tout en dénonçant le silence de Reagan et de son gouvernement avec le célèbre poster Silence = DEATH.

Durant les années 80, Marsha participe à plusieurs actions militantes contre le SIDA notamment celles lancées par ACT-UP. En parallèle de ses actions militantes, Marsha rendait souvent visite aux personnes atteintes du SIDA, Johnson étant elle aussi séropositive probablement dû au travail du sexe.

Décès et enquête

Le 6 juillet 1992, quelques jours après la marche de la fierté de cette année, le corps sans vie de Marsha fut retrouvé flottant dans le fleuve Hudson. Marsha eut droit à des funérailles dans une église locale et ses cendres furent dispersées au large des jetées de Christopher Street après une marche funèbre en son honneur sur la 7ème avenue.

Du côté juridique, la police new-yorkaise a rapidement classé la mort de Marsha comme un suicide. Si, au début, certains des proches de Marsha croyaient qu’elle s’était suicidée (Randy Wicker avait déclaré que Marsha était de plus en plus malade et affaiblie, probablement dû aux effets du VIH). Mais très vite, beaucoup contestent le verdict de la police à commencer par Rivera. L’année 1992 fut l’une des années les plus tragiques pour les membres de la communauté LGBT+ en Amérique. Rien qu’à New York, 1.300 cas de violences homophobes et transphobes ont été signalés dont 18% commis par des policiers. Après la commémoration, de nombreuses personnes gays, lesbiennes, trans… manifestèrent devant les commissariats de Christopher Street pour exiger justice pour Marsha ainsi que pour les nombreuses victimes, souvent ignorées et niées par la police, de crimes transphobes et homophobes parfois provoqués par des policiers ripoux.

Hommages posthume

En décembre 2002, l’ancien membre de la police new yorkaise se battit bec et ongle pour rouvrir le dossier de Marsha sur base du manque de preuve par rapport à son suicide. Selon lui, les personnes suicidaires laissent généralement un message avant de mettre fin à leurs jours, ce qui ne fut pas le cas pour Marsha. Ses efforts permirent de modifier les causes du décès de Johnson de “suicide” à “cause indéterminée”.

Il faudra attendre 10 ans plus tard, soit en 2012 pour que la police de New York accepte de rouvrir le dossier de Marsha sur un possible homicide grâce aux pressions de la militante Mariah Lopez. Parallèlement en 2016, Victoria Cruz, membre de l’association de l’anti-violence project, tenta aussi de rouvrir le dossier. Lors de son enquête, Victoria put avoir accès à plusieurs dossiers jusqu’alors confidentiels comme les rapports d’autopsie et de toxicologie ainsi que des interviews et des témoignages de personnes ayant connu Marsha. En 2017, le réalisateur David France sortira un documentaire, « La mort et la vie de Marsha P. Johnson », sur l’enquête qu’il a pu filmer et contenant des images d’archives du vivant de Marsha P. Johnson.

En 2024, le cas de Marsha P. Johnson n’est toujours pas élucidé et l’affaire est toujours en cours.

Bien entendu, Marsha P. Johnson eut droit à de très nombreux hommages. En 2002, Sylvia Rivera s’éteint des suites d’un cancer du foie. Lors de ses funérailles, une longue marche est organisée en son honneur dans Christopher Street. Lors de la marche, le cortège passa devant la jetée où le corps de Marsha fut retrouvé et des fleurs furent lancées pour honorer les 2 amies qui, dans l’imaginaire collectif et les légendes de la communauté LGBT+, sont considérées comme les Rosa Parks ayant participé à une émeute considérée comme l’équivalent de la prise de la Bastille pour et par la communauté LGBT+.

Sources :

🔹 La mort et la vie de Marsha P. Johnson, documentaire de David France, 2017 (disponible sur Netflix).

🔹 Pay It No Mind – La vie et l’époque de Marsha P. Johnson, documentaire de Michael Kasino, 2012 (en VO sur YouTube)

🔹 Stonewall, film de Roland Emmerich, 2015

🔹 Happy Birthday, Marsha!, court métrage de Tourmaline et Sasha Wortzel, 2017

🔹 Ladies and Gentlemen, série de photos Polaroid par Andy Warhol

🔹 Out of the Closets: Voices of Gay Liberation, livre de Karla Jay, 1992

🔹 Wikipedia, Marsha P. Johnson (en anglais)

🔹 Wikipedia, Sylvia Rivera (en anglais)

🔹 Wikipedia, Stonewall riots (les émeutes de Stonewall, en anglais)